Danton, A Study

Appendix V.

SHORT MEMOIR BY A. R. C. DE ST. ALBIN.

 

This memoir was published for the first time as an article in the Critique Française of the 15th of March 1864. It was so published by the author himself, and, though appearing seventy years after Danton’s death, is not without importance. De St. Albin, who is better known by his first name of Rousselin, had some personal acquaintance with Danton (though he was but a boy at the time) and he lived to a great age. He had, moreover, an acquaintance with the family after the Revolutionary period. These circumstances make his testimony decisive on all non-controversial points and valuable on many others.

 

The criticisms to be made against his account are obvious. It is too florid; it errs also in giving an amiable and somewhat mediocre character to the statesman himself and to all his relatives and surroundings. We have in it but a poor expression of the energy that was Danton’s chief character, and which the writer’s own mind cannot reflect. It was, moreover, written so very long after the events which it describes that in more than one place an error of date or number has been committed; especially in the incident of Barentin at the close of the memoir, with which M. Aulard finds so much fault, and in the amount of his wife’s dowry, which was not 40,000 but only 20,000 livres. On the other hand, it is fresh, full of personal recollections, written by a trustworthy man, and gives many interesting details on the earlier and less known part of Danton’s life.

 

La famille de Danton n’a point à se prSvaloir d'une antique noblesse. Le nom de Danton est commun dans la contre*e d'Arcis-sur-Aube, il est apparu avec un certain bruit, en 1740, dans les querelles du jans^nisme. Parmi les pifeces de théâtre destinies k populariser ces discussions th^ologiques, il en est une intituled La JBangueroute des marchands de miracles, qui est signee du P. Danton. On a suppose", non sans raison, qui cet eccl&iastique 6tait un grand-cade du conventional,

 

"George-Jacques Danton naquit a Arcis-sur-Aube le 26 octobre 1759. II ^tait fils de Jacques Danton, procureur au bailliage d'Arcis, qui avait Spouse", en 1754, Jeanne-Madeleine Gamut. Le pere mourut le 24 f^vrier 1762, &ge* d'environ quarante ans, kissant sa femme enceinte et quatre enfants en bas &ge, deux filles et deux gar$ons. Georges-Jacques Danton resta sous la tutelle de sa mere, femme doue'e de toutes les quality’s qui commandent Peatime. C'est par la sensibility et la douceur du caractere quo la mere de Danton &evait et gouvernait sa jeune famille. Georges, celui de ses enfants dont l'extrieur indiquait le plus de force e*t de volonte*, ^tait le plus docile envers elle. Sa jeune indpendance 6tait Lien vite soumise quand sa mere parlait a son cceur. La tendresse obtenait ce que la crainte aurait vainement tente* d'arracher. Madame veuve Danton eut un heureux auxiliaire pour le soutien de sa maison dans son pere, entrepreneur dea ponts et chauss6es de la province de Champagne. Celui-ci donna les premieres lejons a son petit-fils: il voyait avec joie ses m&lea dispositions.

 

"II est int&essant de noter quel fut le milieu dans lequel Danton passa ainsi ses premieres annes, et nous avons trouv, dans un auteur contemporain, le passage suivant qui nous semble curieux:

 

"'La ville d'ArcisHsxir-Aube est composed d'hommes indépendants; Tail y eat vif, les hommes aont robustes; la riviere de PAube, qui traverse le pays, est navigable en tout temps, le commerce maritime occupe les natifs; quand les marins ne sont pas occup^s a I'eiu, ils font dea bas; ils sont laborieux, industrieux. Arcis n'est comparable a aucone partie de la Champagne; les lois y sont observers comme siettes n'existaient pas, par le seul sentiment de 1'ordre; lea seigneurs de 1'ancien regime avaient toujoura rencontre des opposantsraians des hommes chez qui 1'amour de la ' liberte est inne’.

 

"L'enfance de Danton n'eut rien de remarquahle; il fut clove", roivant 1'usage du pays, a peu pres comme un enfant de la nature.

 

"E. avait & nourri par une vache, ce qui est usite* en Cham- pagne, quand les meres ne sont pas assez fortes pour allaiter leurs enfants. La vache nourrice de Danton fut un jour apercue par un taureau e*chappe*, qui se pre"cipita sur elle et donna au pauvre enfant un coup de corne qui lui arracha la levre. C'est a cette cicatrice que tenait la difformite' de sa levre supe"rieure,

 

"En grandissant, Danton, comme tous les etrea doue*s d'une force extraordinaire, e"prouvait le besoin de 1'exercer. n voulut un jour faire preuve de vigueur, prendre sa revanche et lutter coi tre un taureau. II e*tait difficile qu'il sortit vainqueur de la lutte. Un coup de corne lui e"crasa le nez.

 

(< Ges accidents auraient dfl le rendre prudent, mais il n'y a guere de prudence la oil il y a grande surabondance de vie. Un jour le robuste enfant croit pouvoir faire marcher devant lui les pores de la ferme qui obstruaient I'entre'e de la maison. II les attaque b coups de f ouet; mais son pied glisse, il tombe, et les pores devenus furieux, se ruent sur lui et lui font une terrible blessure, assez semblable k celle dont Boileau fut yictime dans on enfance, au dire d'Helv&ius, qui attribuait a cette blessure la disette de sentiment qu'il pretendait remarquer dans les ouvrages du poete, Quel que soit le mdrite de cette appreciation, elle ne cerait pas applicable a Danton. Sa virilite* avait 4t4 compromise, non perdue, et il conserva toute son 6nergie et toute sa hardiesae. Bien ne l'arrtait: chaque jour il donnait de nouvelles preuves de t&n&ite*. A peine fut-il r^tabli de ce malheureux accident, qu'entratn^ par sa passion pour la natation, il faillit se noyer et fut atteint d'une fievre maligne, k laquelle vint se joindre une petite v^role tres grave, accompagn^e du pourpre. Tout semblait ainBi se r^unir pour le defigurer.

 

"Pour faire contracter a son enfant quelques habitudes de discipline, la mere de Danton le remit d'abord a la surveillance d'une maltresse d'icole; celle-ci n'avait pas le temps ou la volonte" d'user avec lui d'indulgence. Danton trouva quelque diff&ence dans la comparaison de ce nouveau regime avec les tendresses de a mere et de son ai'eul: non moins severe que la demoiselle Lambercier de J.-J. Kousseau, la maltreese d'^cole croyait ne pouvoir at passer de verges pour diriger les enfants, et Danton lux avait paru avoir les premiers droits k ses corrections. Toua 6S contemporains se souvenaient de 1'avoir vu faire trop souyent r&ole buissonnie*re et employer les heures de classe a barboter dans 1'Aube. H pr^rait la libert< de vivre k Penniii de riSpe'ter les caractfcres de Palphabet. II avait cependant d'henreuses apti- tudes et apprenait rapidementj mais toute habitude rgle*e tait antipathique & sa nature.

 

"A huit ans, il fut d<&arrasse" de la rigoureuae maitresse, et tranwatty comme il le dit lui-mme, dans une institution supeneure. Le chef de cette institution croyait savoir assez de latin pour en enseigner les flftnenta Quand les premiers principes de la gram- maire ne sont pas montre*s avec une habile m^thode aux jeunes intelligences, elle leur ofire peu d'attrait.

 

"Danton en avait peu-^tre un peu moins pour Lhomond que pour le jeu de cartes. A peine le devoir terming en hate il courait arec quelques camaradee dans un coin pour faire sa partie. Des Hlles ou des g&teaux 6taient le bn6fice du gagnant. Souvent vainqueur, il partageait toujours avec le vaincu. Quand il se trouvait seul, il lisait ou allait se promener ans les bois ou dans les champs,

 

" Pour modifier cette humeur un peu sauvage, les parents de Danton crurent devoir le mettre dans une maison religieuse.

 

"Quoiqu'il ne fut point destini a l^tat eccl&iastique, on le placa tfabord au petit s^minaire de Troyes; mais la monotonie de cette maison lui devint bient6t p^nible. Pendant tout le temps qu'il y resta, il obaerva la rSgle, mais il ne pouvait souffcir que B4 r^cr&tion fut subitement interrompue par un coup de cloche, Cette doche, disait-il, rijB suis encore forct de V entendre longtemps, finira par sonner mon enterrement.

 

"Un reproche mal fond^ et re$u publiquement du sup^rieur d^cida Danton a solliciter sa sortie du sminaire.

 

11 Le fait suivant peut toe raconte" comme trait de caractere: La pension, dans cette maison, 6tait modique. Les Olives n'avaienfc de vinqu'en le payant se*par^ment a la fin de chaque annee. Tous les dimanches on distribuait des cartes, qui ^talent une espece de billet au porteur. En pr^sentant cette carte au distributeur, on recevait une mesure de vin appel^e roquille. Danton etait g^n^r- eux, et un de ses grands plaisirs alors tait de r^galer ses camarades en leur passant des cartes de roquilles, surtout 4 ceux qu'il savait n'avoir pas la bourse bien garnie. Sa ge'ne'rosite* alia si loin, que, lorsqu'on fit le compt^ ge"ne>al et la proclamation publique de tons ceux qui avaient bu du vin, il se trouva tre celui qui avait fait nne plus grande consommation de roquilles. La veille du depart pour les vacances, le superieur du petit se*minaire adressa ces paroles k Danton: Mon ami, vous pouvez vous flatter d?$tre le plus grand buveur de la communaute. A ces mots, tous les rires d'e"clater sur lui; il ne re"pondit pas, mais il se promit bien de ne plus boire de roquilles au petit se*minaire. Malgre* une veritable bonte", Danton etait peu endurant,* et on 1'avait surnomm6 Vanti- supSrieur, et meme le republicain.

 

"A peine revenu a Arcis-sur-Aube, il de"clara a sa mere qu'il ne rentrerait plus au petit se"minaire: " n y a la, dit-il, des habi- tudes qui ne me vont pas, et que je ne pourrai jamais coraprendre. L'anne'e suivante, on le mit dans une pension laique. Ses e"tudes n'y perdirent rien, car il eut depuis des succes qu'il n'avait pas obtenus auparavant. H fit ainsi sa seconds, et y remporta la presque totality des prix. . . .

 

"Nous amvons au mois de juin 1775. On apprend que le sacre de Louis XYL va s'accomplir a Reims. Danton avait deja, plus d'une fois entendu les impre"cations dont toute la France couvrait la me*moire de Louis XY. A 1'age de seize ans il en savait assez pour abhorrer 1'emploi des lettres de cachet, qui e*taient si prodigu^es sous ce regne scandaleux. Le professeur avait annonc6 qu'il donnerait 1'e've'nement du sacre du nouveau monarque comme texte d'amplification: Pour bien se p&t&trer de son sujet, dit Danton d'un ton d^cid^ il faut se servir de ses yevx. Je suis curi&ux de voir comment sefait un roi.

 

" Son projet n'est confi^ qu'k quelques fideles camarades qui lui pr^tent de Targent pour sa route, n part sans pre>enir son maltre; il traverse son pays d'Arcis sans voir ses parents, dans la crainte de les trouver opposes a son pelerinage. Apres avoir franchi vingt-huit lieues sans encombre, il arrive a Eeims, se glisse partout; il suit attentivement toutes les c&emonies du sacre, et il entend le jeune monarque, la main sur I'fevangile, prononcer le serment de rtgner par lea lois et pour le bonkeur de la nation* Que des reflexions fait naitre un pareil spectacle dans un cerveau ardent, deja prompt a concevoir de rapprochements !

 

" A son retour de Reims, les amis de Danton gtaient impatients de Tentendre raconter tout ce qu'il avait vu. Get appareil ne 1'avait pas ^merveill^, la richesse des decors de la cathédrale ne Tavait pas s6duit. II raisonnait assez dejk pour sentir que ce a'&ait guAre plus qu'une pompe vaine, encore dispendieuse pour k France dejk si ob6r6e. Le jeune voyageur s'6gayait en parlant de ce nombreux essaim d'oiseaux de toute espece auxquels on avait donne* la vole*e dans 1'^glise: " Plaisante liberty disait-il, que de voltiger entre quatre murs, sans avoir de quoi manger ni poser son nidJ" II comparait aussi les oiseaux babillards aux courtisans qui entouraient de*jk le nouveau roi, par continuation de leur d&vouement pour le d&funt. A 1'entendre debiter avec autant de simplicite* que de malice ses reflexions BUT le luxe, on peut entrevoir que l^colier moraliste, devenu grand, ne sera pas sans quelque exigence envers la royaute*, et sans quelque s^v&ite' envers les agents qui vivent des abus

 

" Danton, revenu 4 Troyes, ^prouva des difficulty’s pour rentrer ^ ea pension. Sa sortie, & 1'insu du mattre, avait indispos^ celui- cL Le voyageur, soumis et repentant, proteste qu'il n'a $t$ a Reims que pour se mettre en mesure de faire en connaissance de cause son devoir d ^amplification sur le sacre. II produit effective- xnent un morceau des plus brillants, mais ou il se defend d'intro- duire les observations hardies chappes dans la familiarite de la conversation, qui ne peuvent se presenter dans une narration toite, dont les convenances sont la premiere r&gle. Le maitre, satisfait et surpris du merite de Poeuvre, en fait lecture k sea ^Ifeves. EL dit gu'tt aurait donne la premiere place a Vauteur sftl n'avait fait I'ecole buissonniere. Les camarades de Danton s'unis- sent avec enthousiasme a Tappr^ciation du maitre; ils admirent comment Tenfant prodigue, leur ayant fait un re*cit aussi piquant, aussi jovial de son voyage, avait pu en mme temps mettre dana son style autant de reserve et de noblesse. C'est ainsi que Danton fait admettre ses excuses, et sa gr&ce est devenue une espece de triomphe. U reprend sa classe, dont les travaux allaient bientdt e terminer. L^poque des compositions pour les prix annuels approchait; se fiant k sa facility Danton ne semble pas se pr^- parer an concours. Mais d^s que les sujets de composition sont donna’s, il rassemble tous les efforts de son intelligence et obtient toutes les couronnes. II d^ploie d'admirables moyens dans le discours franjais, la narration latine et la po^sie. Imagination, jugement, exactitude, saillie dans la pense"e, force, originalit^ dans 1'expression, rien ne lui manque, et le 18 aotit 1775 fut peut-^tre le plus beau jour de sa vie. Le nom de Danton- Gamut (qui e"tait celui de sa mere pour le distinguer d'un homonyme son condisciple) fut r6pet6 au bruit des fanfares. Si le laur^at fut heureux, ce fut surtout en apportant ses lauriers 4 sa mere, objet de son culte et de son amour; cette pie*te* filiale, des lors le plus vif de ses sentiments, demeurera la meme dans son coeur pendant tout le cours de sa vie, quelles qu'en soient les violences ou les distractions; plus tard, il la montra mieux encore, et Thomme auquel il voua la haine la plus tenace fut un miserable soupponn^ d'avoir manqu6 de respect a Madame Danton.

 

"Lorsqu'un ^colier se distinguait au college, on songeait k la carriere que lui ouvriraient ses talents. II faut en faire un pr&tre ou un procureur. Le cure" de Barberey, pres Troyes, d^signait dejk Danton pour qu'il lui succ^d&t dans son presbytere; mais le moment de sdjour que Danton avait fait au s&ninaire ne lui avait pas inspir^ la vocation eccl&iastique. n avait besoin de liberte", il lui fallait les franches allures, 1'ind^pendance. II demandait une profession liberals, il d&irait etre avocat. . . . Demosthenes et Cic^ron, qu'il venait de commencer a connaltre n j ^taient-ils pas des avocats? La f amille r^unie ayant d^f ^r6 au voau de Danton, il fut dcid6 qu'il irait k Paris et qu'il travaillerait cbez un procureur pour y apprendre la procedure en m^me temps qu'il ferait ses Etudes de droit, pour se pr^parer au barreau.

 

"Ici vient se placer une circonstance int^ressante qui fait honneur k Danton et qui fournifc une nouvel!6 preuve de sa tendresse pour ses parents. Madame veuve Danton, demeur^e seule avec sa nombreuse famillle, s'^tait remarie'e pour lui donner un soutien. Elle avait 6pous^ M. Eecordin, estimable n6gociant, dont la bont est restie proverbiale dans le pays: Ion et brave comme Eecordin. Par suite de sa facility dans ses relations, les affaires de la maison Eecordin se trouv&rent embarasse'es. Danton, loin d'exiger les comptes qu'il avait droit de demander de la fortune qui lui revenait de son pere, fut le premier a offrir dea secours a son beau-p^re; il mit k sa disposition tout ce qui lui appartenait, il alia jusqu'k engager la portion du bien de ses tantes qui devait lui ^choir un jour, ne craignant pas d'ali^ner son present en son avenir. 11 faut mettre ses affaires en disait-il, quand on fait un grand voyage.

 

" Tels furent les pr^paratifs du depart.

 

"Tous les tmoignages de ses camarades, parents et amis, d^posent de la delicatesse de Danton sous tous les rapports; a 1 s exception du prt de quelques 6cus qui lui furent offerts par ses caraarades pour le voyage de Reims, il n'a jamais demands d'argenfc a qui que ce soit, dans les moments ou, soit com me ecolier, soit comme clerc de procureur, il a pu 6prouver de ces gnes de jeune homme qui rendent hardi aux emprunts.

 

"Danton arrive a Paris en 1780 dans la voiture du messager d'Arcis-sur-Aube, qui elait I 7 ami de sa famille, et qui voulut lui faire la conduite gratuitement. H se logea a 1'auberge du Cheval noir, tenue rue Geoffroy-Lasnier par un nomm Layron, qui 3tait Ph&te le plus fr6quent6 par les Champenois. Danton avait trfes peu de fonds, et il dut se mettre imme'diateinent au travail: il entra chez un procureur appe!4 Vinot. Ce procureur commenga par lui demander un module de son Venture, qu'il ne trouva pas belle. Les procureurs de ce temps-la voulaient de ces Ventures promptes et faciles 3 propres a produire de larges grosses, de longues requites. Le jeune Champenois d^clara franchement qu'il n'etait pas venu pour Ure copiste. Ce ton d'assurance imposa au procureur Yinot. II dit: fatme I'aplomb, il en faut dans noire Ztat.

 

"Danton fut admis comme clerc, avec la nourriture et le loge- ment II ^tudia la procedure non sans quelque dugout j il fut charg, comme on dit dans le metier, de faire le palais. C'est la premifere initiation des jeunes clercs aux affaires. EUe commence k les mettre en relation avec les choses et les personnes du monde judiciare, et leur donne les elements de la pratique par de petits plaidoyers sommaires et des explications contradictoires qui leur ouvrent les idees et leur apprennent L se conduire dans le laby rinthe ou ils sont destines k vivre.

 

"Danton remplissait sa fonction de clerc avec intelligence et exactitude; ses recreations les plus habituelles ^talent toujours Tescrime, la paume et la natation, sa pasaion favorite ! dont il usait frSquemment; c'etait le besoin meme de son temperament. II &ait assez habile a cet exercice pour 6tre cite au premier rang; il y trouva un encouragement digne de son Emulation. II sauva plusieura fois de la mort des camarades qui auraient p^ri s'il n^taifc venu au secours de leur imprudence et de leur faiblesse. Quel- ques-uns d'entre eux ont raconte les tours de force v&itables que Danton ex^cutait dans les courants les plus difficiles de la rivi&re. De 1'endroit meme ou ils prenaient leurs ebats, on voyait les tours de la Bastille, et plus d'une f ois les baigneurs ont entendu Danton, dressant sa tSte comme un triton, jeter une menace du c6t6 de la prison d'Etat et s'4crier de sa voix vibrante: Ce chateau fort suspendu sur noire t&te m'qffusque et me gfae. Quand U verrons- nous abattu 1 Pour moi, ce jour l&, j'y donnerai* un fier coup de pioche 1

 

"Les constitutions les plus robustes sont souvent les plus exposes, parce que cette exuberance de force donne plus de s^curite. Danton, a. la suite d'une double partie de natation et d'escrime, fut encore attaient d'une grave maladie. Longtempa retenu au lit, alors que son corps etait r^duit a Tinaction, il ne pouvait se livrer a. ses exercices habituels, mais son imagination ne restait point inactive. Avec son infatigable ardeur de lecture, il s'obstina a. lire I'EncyclopGdie tout entifere, et U avait achev^ ce labeur si considerable avant que la convalescence fut termin^e. II trouvait encore le temps de lire les grands publicistes dont les principes et la morale politique commen9aient h, devenir les guides du si&cle. Montesquieu qu'il devait souvent citer, fut de sa part Pobjet d'une ^tude tout particuliire, et, apr^s avoir lu VEsprit des lots, il disait: Quel horizon nouveau s'ouvre devant moi! Je n'ai qu'un regret, c'est de retrouver dans Fforivain qui vous porte si loin et si haut, le president d'un parlement. De Montesquieu, Danton passa bientot k Yoltaiie, a* J.-J. Rousseau, puis a, Beccaria, qui apparaissait alors. Danton ne tarda pas a. savoir par cceur radniir- able petit ouvrage de cet auteur, le traite Des delits et des peines, qai allait reformer la legislation criminelle du monde; afin de se pr^parer des couleurs de style pour le jour oil il aurait a. parler aux foules, afin d'apprendre, a. revetir les questions sociales dea belles images de la nature, Danton dtudia partdculi&rement I'Bu- toire naturelle de Buffon: au moyen de sa puissante m6moire il en retenait et r^citait des pages entires. Yoilk d'amples pro- visions d'instruction qui pourront trouver un jour un utile emploi dans la carri^re de Thomme public! Tout en dedaignant la litterature frivole et n'ayant jamais lu de romans que les chefs-d'oeuvre consacr^s qui aont des peintures de moeurs, Danton apprit en m&me temps la langue italienne assez pom lire le Tasse, I'Arioste et mSme le Dante. II f aisait aussi des vers avec facility, quelques- uns meme adresse*s, en tout bien et tout honneur, a une personne qui n'&ait pas indigne de les lui inspirer, a la femme de son procureur.

 

" Mais tons ces delassementa litt&aires e'taient en donors de la profession qu'il voulait exercer. Us ne lui firent point ne*gliger 1'apprentissage de la procedure et du droit.

 

"II lui lestait maintenant a devenir de licencie" avocat, et comme il avait garde* un bon souvenir de la ville de Reims, il alia fie faire recevoir avocat dans cette ville. Champenois de coeur, il itait heureux de contribuer de tons ses moyens , 1'honneur de son pays natal II avait toujours de bonnes saillies a son service, et ne manquait pas une occasion de citer des bommes distingue’s dans les lettres et les arts de diverges e*poques qui appartenaient a la province de Champagne. Farmi les contemporains, Danton, pouvait du reste trouver plus d'un exemple a 1'appui de son patriotique entbousiasme: c'est ainsi qu'il parlait souvent de quelques notability qu'il connaissait, tels que le savant Grosley, Tavocat Linguet.

 

" De retour de Beims a Paris, Danton, apres avoir acbeve" son stage, s'essaya au barreau de la capitale pendant quelque temps. Charge* d'une affaire, entre autres, pour un berger centre le seigneur de son village, il eut 1'occasion de produire, en cette circonstance, quelques-uns des sentiments qu'il devait plus tard d^velopper davantage sur un grand tb^atre. H r^clama avec autant de vigueur que d'adrease les principes de I'4galit6 devant la loi II gagna sa cause devant la cour de parlement qui, comme on se le rappelle, n'^tait alors compose'e que de nobles et de privi- Wgi&. Nous ne sommes encore qu'en 1785, Le factum de Dantou fut imprim^: il tait concis, substantiel, nergique nous n'avons pu en retrouver la trace. Cette premiere lutte soutenue par Danton fit sensation au palais et valut au jeune avocat des t&noignages d'estime de Gerbier, Debonniere, Hardouin et de toutes les sommite’s du barreau de cette ^poqua Linguet, qui 0e connaissait en style, et qui, nous Tavons vu, ^tait de Beims, lui adressa a ce sujet de vifs encouragements.

 

" Mais les t^moignages de ces bommes ^minents, qui assuraient a Danton un Bucces d'honneur, ne le menaient point a la fortune; il s'en eloignait meme a mesure que son talent aurait du Fen rapprocher davantage, car il recherchait la clientele du pauvre autant que d'autres recliercliaient la clientele du riche. II pensait qu'en these generale le pauvre esfc le plus souvent PopprimS, qu'ainsi il a le droit de prioritS & la defense. D'apres ce principe de conduite, ceux qui ont dit que Danton n'avait point fait fortune au barreau, pouvaient ajouter qu'il ne 1'y aurait jamais faite. . . .

 

"S'ennuyant peut-Stre un peu, comme on a pu I'entrevoir, dans fla profession d'avocat, Danton ne demandait point de distraction a des plaisirs qui auraient pu prendre sur les ressources n&essaires a son existence. Gagnant fort peu dans sea travaux de palais, il n'aurait pas voulu ajouter a la gene de sa position en contractanfc des dettes; il 4tait fort range\ toujouis avec une petite reserve d'economies qui lui permettait de rendre des services sans ea demander lui-mme. Apres son frugal repas chez un traiteur, dont la maison tait nominee VHdtel de la Modestie, il prenait une demi-tasse de café et jouait quelques parties de dominos. Ajoutez, de temps en temps, le spectacle d'une trag^die classique au Theatre-Français, voila toute la d^pense et tous les amusements du jeune avocat,

 

" Un cafe ou so xendait le plus habituellement Danton s'appe- lait Cafe de I'Ecole, parce qu'il ^tait situ6 sur ce quai, presque au coin de la place qui a conserv ce nom. G'^tait un rendez-vous tr^s frequent^ par les homines de loi qui se trouvaient rapproch& du Chatelet et du Palais de Justice. La rigueur du costume et de la coiffure, esp&ce de signalement perp^tuel, avait cet avantage qu'on n^tait pas tente de se commettre.

 

" Les maitres des caf^s, alors peu nombreux dans Paris, ^talent eux-mSmes des bourgeois d'honnSte allure. Us maintenaient le bon ton de leur maison par leur civilite. Us faisaient rarement fortune, a 1'ezception de deux ou trois qui ^talent de premier rang. Le Cafe de V Scale n'&ait pas pr^cis^ment a ce niveau \ mais il ^tait Tun de ceux qui avaient la meilleure reputation. JN"ous croyons voir encore le maltre de la maison avec sa petite perruque ronde, son habit gris et sa serviette sous le bras, U 6tait rempli de provenances pour ses clients, et il en etait traits avec une con- sideration cordiale. Une femme des plus recommandables et fille de la maison, auasi douce que gracieuse, tenait le comptoir. Farmi les habitues, qui paraissaient s'aireter avec un int^rlt particulier a ce comptoir, on put remarquer un jeune avocat qui, d'abord fort gai et jovial, parut quelque temps apres plus sdrienx. Ce jeune avocat etait Danton; il avait cru d'abord ne causer que g4ne"ralement et sans consequence avec les dames du comptoir; son c<Bur s'y tait pris, et Danton. 6tait amoureux. Mademoiselle Gabrielle Charpentier n'avait pas song6 a se d&ier des assiduity de Danton; elle se trouva bientdt, & son insu, preoccupe"e du m&ne sentiment. Sans gtre dans le secret de cette inclination, le pere et la mere Charpentier ne furent pas tres surpris quand la mam de leur fille leur fut demandee par le jeune avocat. La vivacit^ de son caractere leur fit craindre un moment de consentir a cette union; mais il avait su toucher le coeui de Gabrielle. Lorsqu'on disait: Qti'il esi laid/ elle r<p6tait, presque comme Tavait dit une femme au sujet de Lekain: Qu'il est beau/ Elle admirait son esprit, que Ton trouvait trop piquant; son &me, que Ton trouvait trop ardente; sa voix, que Ton trouvait forte et terrible, et qu'elle trouvait douce.

 

" II fallait cependant prendre des renseignementa sur ce pre"- tendant. M. Charpentier visita particuli^rement les procureura chez qui Danton avait travaiUe*, et les avocats avec lesquels il avait 6te" en rapport au barreau. II n'y eut qu'une voix en sa faveur. D'apres des renseignements aussi satisfaisants, les bons parents ne s'inform&rent point de sa fortune; ils y tenaient peu, quoique en ayant eux-mmes une assez modeste. Pourtant, ils donnaient en manage a leur fille une somme de 40,000 francs, ce qui 6tait pour l^poque une dot considerable. Ils imposaient a leur gendre une seule condition, c'est qu'il exerjllt un etat \ c'est qu'il fut occupe. La profession d'avocat au parlement ^tait sans doute une profession honorable et libre, mais trop libre peut-Stre, et qui ne commandait pas un travail assez assidu. Danton promit de remplir les vceux de son beau-pfere; il s'exprima dans des termes si chaleureux, que le pere et la mere Charpentier se mirent a aimer Danton presque autant que leur fille,

 

"Des amis de Danton lui conseill&rent d'acheter une charge d'avocat aux conseils. M. et Madame Charpentier oflrirent g^n6- reusement la dot de leur fille; mais ce n'tait que 40,000 francs, et il en. fallait 80,000! Des Champenois devours proposferent de computer ce qui manquait pour le payement de la charge.

 

"Ils s'en rapportaient tous a la d^licatesse et a la probit6 de Danton; sa bonne conduite tait sa caution. Le mariage n'ayant plus de cause de retard, les bans publics, le consentement de sa mere arriv6 d'Arcis-sur-Aube, Georges-Jacques Danton et Gabrielle Charpentier furent unis, et le mme jour il entra, comme il le disait gaiement, en puissance defemme et en charge d'qfficier minis- tend; le mfrme jour, mari et avocat aux conseils.

 

"Les avocats aux conseils r^unissaient les doubles fonctions d'avocats et de procureurs; ayant peu de procedure a faire, ils avaient 1'avantage de rester maltres de leurs affaires et de ne pas subir, comme les avocats des autres cours, la loi d'un procureur proccup6 du de"sir d'attirer a lui tous le benefices. Les fonctions des avocats aux conseils avaient aussi quelque chose d'eminein- ment propre a elever P&me des jeunes gens , leur mission consistait souvent a redresser les torts du parlement et des cours superieures. Ils communiquaient journellement avec les maltres des requites, avec les conseillers d'etat, avec les homines du plus haut rang, qui e'taient obliges de recourir a leur ministere pour lutter centre les usurpations dont ils avaient a se plaindre.

 

" Les avocats aux conseils avaient ainsi ^occasion, en discutant avec les ministres eux-mmes, soit pour les attaquer, soit pour les d^fendre, d'apprendre a connaltre les rapports des autorit^s entre elles, la vraie distinction des pouvoirs, Torganisation civile dans toute son e"tendue, Tordre social dans son ensemble: c'e"tait une excellente ^cole pour creer des economistes, des politiques, des l^gislateurs.

 

"En exposant le rdle et la mission des avocats auz conaeils, nous aurions peut-^tre du expliquer que tels e'taient au moins la pense"e et le droit de Pinstitution. Faut-il constater maintenant ce qu j e"tait en fait 1'institution? Sur le nombre de soixante membres composant Thonorable confr^rie, on voyait plusieurs hommes distmgues qui sentaient la dignit^ de leurs fonctions, traitaient leurs clients avec g4n4rosit^ et delicat^sse, les affaires avec science, application et courage. Mais tous, il faut bien le dire, n'avaient pas un sentiment aussi 61ev6 de leurs devoirs, et il en 6tait quelques-uns dont I'&nulation consistait k faire beaucoup de grosses.

 

" Au moment ou Danton fut reu avocat aux conseils, c 7 6tait en 1787; il avait vingt-huit ans, sa femme en avait vingt-cinq. Dans ce moment, 1'Ordre 4tait divise en trois partis plus ou moina actifs.

 

" Les anciens voulaient crer un syndicat, &. la tte duquel ils auraient 4t tout naturellement place’s.

 

" Les jeunes arnvants appartenaienfc aux id6es nouvelles, et ne voulaient 3tre ni conduits ni ^conduits.

 

"Un troisi&me parti se composait des hommes mod&6s et pacifiques qui, aimant le repos avant tout, et, conune on a dit depuis, la paix partout et toujours, ne voulaient se mler & aucune action et pr&eraient laisser faire le mal . leur detriment plut6t que de se mouvoir en aucun sens et se laisser d^ranger mme par tin progr&s qui leur eut 6t^ utile, mais qui aurait pu les desheurer.

 

" On a d&ja pressenti i. quel parti Danton avait du se xallier. II ne m^connaissait pas la discipline qui doit pr&ider a la bonne organisation d'une compagnie judiciaire; mais il croyait que la force et la puissance r^elles des compagnies sont dans leur ind- pendance, comme le talent mme des membres de ces corporations ne peut se passer de la dignit du caract&re.

 

" L J homme qui, en entrant dans une compagnie, dessine sea opinions ayec une ^nergique rudesse, peut s'attendre ^ rencontrer bien des luttes et bien des hostilit^s.

 

"Voulant juger la valeur du nouvel arrivant, les avocats, sous pr^texte de bienvenue, et sans Tavoir ayerti a 1'avance, lui firent subir une ^preuve en latin. On lui imposa pour sujet I'expos^ de la situation morale et politique du pays dans ses rapports avec la justice. C'tait, comme Danton Pa dit depuis, lui proposer de marcher sur des rasoirs. . . . II ne recula point. Saisissant mSme comme une bonne fortune la difficult^ inattendue dans laquelle on croyait Penlacer, il s'en tira avec ^clat, et laissa ses auditeurs dans I'^tonnement de sa presence d'esprit et de la decision de son caract^re. H ne craignit point d'aborder la politique qui commen$ait a p6n6trer en toute affaire, et qui 3tait peut-toe ici une cause secrfete du pi^ge qui lui tait tendu. On espdrait surprendre en d^faut un jeune avocat qui levait la tte et annoncait des principes d'ind^pendance. Danton, en homme de talent habile a triompher des plus grandes difficultds, osa parler des choses les plus actuelles; il dit que, comme citoyen ami de son pays, autant que comme membre d'une corporation consacr^e a la defense des int^ts priv^s et publics de la soci^, il d&irait que le gouvernement sentit assez la gravity de la situation pour y porter remade par des moyens simples, naturels et tir4s de son autorit6; qu'en presence des besoins imp&ieux du pays, il fallait se r&igner a se sacrifier; que la noblesse et le clerge", qui ^talent en possession des richesses de la France, devaient donner 1'exemple; que, quant a lui, il ne pouvait voir dans la lutte du parlement, qui 6clatait alors, que 1'interdt de quelques particuliers puissants qui combattaient les ministres, mais sans rien stipuler au profit du peuple. II d4clarait qu'a ses yeux Thorizon apparaissait sinistre, et qu'il sentait venir une revolution terrible. Si settlement on pouvait la reculer de trente annes, elle se f erait amiablement par la force des choses et le progrSs des lumi^res. H rpe"ta dans ce discours, qui ressemblait au cri propb^tique de Cassandre: Malkeur a ceux qui provoquent les revolutions, malheur a ceux qui les font/

 

"Plusieurs fois les vieux avocats qui avaient tendu ce piege & Danton voulurent interrompre son improvisation. Ils avaient cru entendre des mots qui les eflrayaient, tels que motus populorum, ira gentium, solus populi suprema lex. . . . Les jeunes gens qui, r^cemment sortis des colleges, avaient le droit de comprendre le latin mieux que les anciens, qui Tavaient oubli^ ou ne Tavaient jamais su, r^pondaient a leurs vieux confreres qu'ils avaient mal entendu, que le recipiendaire ^tait rest6 dans une mesure parfaite, irr^procbable.

 

"Esp^rant constater plus facilement dans le texte d'une r^dac- tion ^crite les penses imprudentes qu'ils avaient cru saisir en ^coutant ses paroles, les anciens demand&rent que Danton d6posa*t son discours de reception sur la table de la cbambre du conseil. Danton r^pondit qu'il n'avait rien ecrit. II avait deja pour syst^me d'6crire le moins possible. Ainsi qu'il 1'a dit depuis, on n'^crit point en revolution. II ajouta d'ailleurs que si Ton d&irait porter un jugement sur les paroles qu'il avait prononc^es, il ne pr^tendait pas s'y opposer. II dtait assez certain de sa pens^e et de sa mtooire pour r^peter avec fid&it toute son improvisation. . . . Le remede eiit 6t6 pire que le mal. L'ar^opage trouva que c'itait dejk bien assez de ce qu'on avait entendu, et la majorit^ s'opposa avec vivacit6 a la r^cidive.

 

"Le cabinet acbeti par Danton 6tait loin, au moment ou il en deviat titulaire, de poss^der une clientele nombreuse. II n'en fut pas moins toujours d'un grand desinteressement vis-k-vis de sea clients.

 

"II se montrait peu exigeant dans la question des honoraires, mme lorsqu'il avait gagn sa cause. Lorsque son client venait s'acquitter envers lui, il lui arrivait souvent de dire: c'est trop, et de rendre ce qu'il appelait le trop. Dans certaines affaires per- dues, il refusait toute re*mune*ration. c Je n'ai point de de'bourse’s, disait-il, puisque je n'ai point fait d'e'critures, et que j'ai laisse* a la re"gie son papier timbre*.' II lui arrivait, bien qu'il ne fiit pas riche, de donner lui-nieme des secours d'argent a des clients xnalheureux.

 

"Une pareille conduite ne mene pas rapidement a la fortune. Cependant le cabinet de Danton s'ameliora en ties peu de temps. En dirigeant dignement ses affaires, il gagnait de vingt a vingt-cinq mille francs par an; son sort de pere de f amille tait assured

 

" Dans ce temps oil la France e*tait encore divise'e en provinces, les classes inf&ieures pouvaient se r^clamer des grands seigneurs de leur pays, et ceux-ci aimaient souvent par vanite autant que par humanite* a prot^ger leurs vassauz. La maison de Brienne ^tait de Champagne, pres Arcis-sur-Aube. Danton e*tait connu du comte de Brienne, ancien ministre de la guerre, et de Farchev^que de Sens, alors premier ministre. II comptait parmi ses clients M. de Barentin. II avait des conferences avec lui pour ses affaires particulieres, et plusieurs fois, apres les avoir trait^es, M. de Barentin s'entretenait avec son avocat des affaires publiques. La maniere sup6rieure dont Danton voyait les choses avait frapp6 M. de Barentin et lui avait laiss une vive impression de ea capacity

 

"Devenu garde des sceaux, M. de Barentin se souvint aussit6t de son avocat et lui fit demander s'il voulait tre secretaire de la chancellerie? Danton, dans un long entretien qu'il eut avec ce ministre, lui exposa avec details un plan qu'il croyait pouvoir eloigner les de*chirements que Topposition des parlements allait enfanter. Quelques-uns de ces parlements venaient d'etre exiles: Danton pensait que leur rappel n'6tait pas une chose de la plus grande urgence. II fallait avant tout les enlacer dans la participation aux r6f ormes; ils en 6taient autant les adversaires que la noblesse et le clerge", dont ils faisaient en quelque sorte partie et dont ils avaient les privileges. Tous les privilege’s enfin, quels que fussent leurs costumes, qu'ils eussent un manteau de noblesse, une soutane de pr&re ou une robe de palais, tous, selon Topinion de Danton, devaient contribuer aux charges qui ne peaaient que sur le tiers IStat, c'est-a-dire sur I'immense majority; la nation attendait Tall^gement du fardeau intolerable qu'elle ne pouvait plus supporter, la resignation ^tait ^puis^e. . . .

 

"Si ces ide*es taient acceptees, le roi, 6tant a leur tte, se fcrouverait conquirir dans 1'interSt de tous nne puissance supdrieure a tous les int&Sts particuliers. II pourrait re*aliser les demandes de la raison et donner, par un progr&s r6el, toute satisfaction aux lumieres du si&cle et a la pbilosophie, interpr&te des vrais besoins de I'humanite.

 

<( En rsum6, le plan con$u par Danton tendait a faire accomplir par le roi une r^forme progressive qui, laissant en place les pouvoirs Stablis, les rendit, a leur insu ou malgr^ eux, les instruments de cette quit pratique qui aurait fortifte a la fois tous les organes du m^canisme social M. de Barentin parla du projet de Danton . I'archevSque de Sens. On parat Tapprouver. Dans 1'intervalle, la cour r^pudia ce systems trop net et trop d&isif pour ses allures. Le parlement fut rappel6. Brienne croyait en avoir gagn6 les principaux membres,

 

"Mais trois mois apr^s novembre 1787 lorsque le roi fut oblig6 de venir a Paris tenir un lit de justice k ce meme parlement pour obtenir 1'enregistrement d'un edit portant creation de divers emprunts jusqu'a concurrence de 450 millions, Louis XVI rencon- tra la plus violente opposition dans cette cour qu'on croyait re*duite. II voulut vaincre 1' opposition en exilant les plus recalcitrants, les conseillers Fr^teau, Sabatier, de Cabre et le due d'Orl^ans. . . . Au mois de mai suivant, 1788, le m&ne parlement rendit un arrlt qui re*clama avec v^h^mence * les lois f ondamentales de PEtat; le droit de la nation d'accorder des subsides, le droit des cours du royaume de verifier les 6dits, de verifier dans cliaque province les volontfe du roi, et de n'en accorder Tenregistrement qu'autant qu'elles seraient conf ormes aux lois constitutives de la province, ainsi qu'aux fondamentales de T^tat; rimmovabilit^ et Tindd- pendance des magistrats, le droit pour chaque citoyen de n'tre jamais traduit en aucune mani^re devant d'autres juges que ses juges naturels d6sign6s par la loij le droit, sans lequel tousles autres sont inutiles, de n'ltre an^te, par quelque ordre que ce soit^ que pour tre remis sans d&ai entre les mains des juges comp& tents ', protestant la cour du parlement centre toute atteinte qui seiait port^e aux principes exprim^s.'

 

"M. de Barentin proposa de noureau a Danton d'etre secre*- taiie du sceau. Oelui-ci remercia en disant que I'e'tat de la question politique 6tait change*. 'Nous n'en sommes plus aux itfonnes modestes; ceux qui les ont refusers ont refus^ leur propre salut; nous sommes, dit-il plus nettement que jamais, 3 la veille d'une revolution. Eh quoil ne voyez-vous pa* venii 1'avalanche 1 ...

 

A. B. C. DK SAINT-ALBIN.”